Dédales et délices de la recherche-action participative: L’aventure de deux chercheuses avec la méthode photovoix
Ce texte fut rédigé dans le cadre du Concours de vulgarisation scientifique 2023 de l’Université de Sherbrooke.
Auteure : Mélissa Gauthier
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Dans le cadre de leurs travaux de recherche auprès de jeunes vulnérables, la Pre Tougas et la Pre Cotton sont rapidement séduites par le caractère accessible, créatif, flexible et émancipateur de la méthode photovoix. Au moment d’entamer leurs projets respectifs, les deux chercheuses sont loin de se douter de la complexité du trajet qui les attend…
Un premier tour d’horizon prometteur
La méthode photovoix s’inscrit dans le courant de la recherche-action participative en permettant aux personnes participantes de partager leur expérience tout en prenant part à l’action collective. Pour ce faire, un groupe est invité à prendre des photographies afin de répondre à une question précise au sujet de son vécu. Par exemple, des élèves pourraient être invités à identifier les éléments de leur milieu scolaire qui favorisent leur bien-être. Par la suite, des discussions de groupe permettent de développer une trame narrative commune autour de l’expérience de chacun. Typiquement, cette démarche collaborative mène à la création d’un produit ou d’un évènement.
Par un médium aussi accessible que la caméra, cette méthode de recherche donne la voix à des populations souvent invisibles dans la sphère sociopolitique afin de leur permettre de sensibiliser un auditoire à leurs réalités. Difficile de ne pas se laisser enivrer par ce monde de possibilités !
Lorsqu’une révision de l’itinéraire s’impose
En amorçant leurs travaux, la Pre Tougas et la Pre Cotton ont considéré la méthode photovoix comme un véhicule de choix pour arriver à réaliser leurs objectifs. Or, parmi tous les paramètres qu’une personne chercheuse se doit de prendre en compte dans la conduite d’un projet de recherche-action participative, il lui faut considérer le bagage des personnes passagères, surtout lorsque celles-ci présentent certaines vulnérabilités… mais à quel prix?
Sillonner au travers des obstacles
Dans ses travaux auprès des personnes adolescentes ayant vécu une hospitalisation en lien avec des problèmes de santé mentale, la Pre Tougas a rapidement dû s’ajuster à la réalité des personnes participantes. L’idée de regrouper des jeunes ayant vécu des expériences similaires a été jugée risquée par certains partenaires de la pratique. Par exemple, chez les jeunes ayant un trouble alimentaire, la comparaison avec les autres peut engendrer une recrudescence de leurs comportements de restriction alimentaire.
Devant ce constat, un changement de cap s’impose : « Comment atteindre un équilibre satisfaisant entre la protection des personnes les plus vulnérables et leur droit de participer à la discussion collective? »
De son côté, la Pre Cotton a réfléchi à l’idée de déployer la méthode photovoix auprès des personnes trans, non binaires et en questionnement identitaire de genre (TNBQ). Devant cette communauté particulièrement mobilisée pour le changement, elle a dû se questionner face au risque que les retombées de la méthode photovoix ne soient pas aussi satisfaisantes qu’espérées. Cela pourrait avoir pour effet d’alimenter des sentiments de désespoir et d’impuissance chez les personnes participantes.
Cette réflexion pose le questionnement suivant : « Dans l’éventualité où les changements convoités ne sont pas actualisés, la visée émancipatrice est-elle systématiquement hors de portée? »
Les deux mains sur le volant, un tournant à la fois
Il va sans dire que le déploiement de la méthode photovoix est complexe. D’un côté, une utilisation naïve de ses principes peut engendrer des effets indésirables, voire nocifs. D’un autre côté, une trop grande flexibilité peut compromettre les règles de l’art et dénaturer la méthode. Lorsqu’on souhaite soutenir une population vulnérable au moyen d’une recherche-action participative, il est primordial d’user d’une grande vigilance et de savoir faire face aux tournants qui s’imposent.
Référence de l’article scientifique sur lequel porte ce texte de vulgarisation :
Tougas, A.M., Cotton, J.C. et *Paré-Beauchemin, R. (publié 2022). Promesses et défis de mise en œuvre de la méthode Photovoix auprès des jeunes vulnérables. Recherches qualitatives, 41(1), 133-155.