Une population, plusieurs besoins : mieux comprendre les différents profils de jeunes fugueurs en centre de réadaptation

Juillet 2022

Ce texte fut rédigé dans le cadre du Concours de vulgarisation scientifique 2022 de l’Université de Sherbrooke.

Auteur et auteure : Maxime Durette et Emma Fournier

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La fugue représente un enjeu qui préoccupe les parents et les autorités responsables des jeunes hébergés en centres de réadaptation. Au cours des dernières années, ces fugues des centres de réadaptation ont fait l’objet d’une attention médiatique importante.

Janvier 2016 – Les parents font appel aux médias 

Une « épidémie » de fugues frappe un centre de réadaptation. Impuissante, une mère lance un cri du cœur à la collectivité via les médias afin d’exprimer son inquiétude : sa fille est la troisième à fuguer de son centre en une semaine.

Avril 2016 – Le gouvernement s’en mêle

Le rapport Lebon fournit au gouvernement un portrait global sur la situation et ses recommandations.

 2017 – Des connaissances approfondies sur les jeunes fugueurs émergent

Suivant ce premier rapport, l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) a eu le mandat de décrire les jeunes fugueurs en centre de réadaptation et les meilleures pratiques afin de réduire les fugues. L’une des retombées importantes de ce rapport est de souligner la présence de différents profils de jeunes fugueurs.

À ce jour – Les recherches se poursuivent  

En 2021, Sophie Couture, Ph.D., et ses collaborateurs ont publié une étude qui distingue des profils de jeunes fugueurs de genre masculin selon les caractéristiques de leurs fugues. Cette étude renforce l’idée que la fugue permet de répondre à différents besoins.

Ce que les profils des jeunes fugueurs nous révèlent sur leurs besoins

Les résultats de cette étude soulignent la présence de trois profils de jeunes fugueurs se différenciant principalement par leur façon de revenir au centre de réadaptation lors de fugue. En effet, ces jeunes vont revenir au centre avec soit l’implication de leur famille, l’implication de la police ou de façon indépendante. Ces trois profils de jeunes fugueurs présentent différents besoins cliniques sous-jacents.

Jeunes fugueurs avec l’implication de la famille

Thomas revient de fugue pour la troisième fois depuis le début de son placement. Généralement, il fugue quelques heures afin d’aller voir ses amis au parc avant de revenir accompagné par ses parents.

Dans l’étude, environ un jeune sur dix fait partie de ce profil qui se caractérise par un retour au centre de réadaptation accompagné de ses parents. Ces jeunes fuguent également moins souvent et moins longtemps que les autres jeunes. En ce qui concerne leurs besoins sous-jacents, ce profil se distingue des autres par une plus grande recherche de sensations fortes, nouvelles et variées.

L’une des solutions possibles afin de diminuer le risque de fugue de Thomas serait de combler son besoin de vivre des sensations fortes autrement, en lui offrant par exemple des alternatives sportives telles que de l’escalade ou des sports de combat. 

Jeunes fugueurs avec implication de la police

Louis rentre au centre de réadaptation escorté par des policiers deux semaines après sa fuite. Puisqu’il a tendance à se mettre dans des situations à risque, ses intervenants craignaient pour sa sécurité. 

Dans l’étude, environ le tiers des jeunes fugueurs appartiennent à ce profil qui se distingue par leur retour au centre de réadaptation accompagné par la police ainsi que par la longue durée de leurs fugues. Ces jeunes fugueurs rapportent aussi davantage d’anxiété et d’expériences antérieures d’abus sexuels.

Pour éviter une fugue subséquente, les intervenants de Louis pourraient prendre en considération les traumatismes qu’il a vécus et rester attentifs aux symptômes anxieux et post-traumatiques que celui-ci pourrait présenter au retour de sa fugue. En effet, chez ces jeunes ayant vécu des expériences traumatiques, la fugue peut leur permettre de reprendre le contrôle de leur vie, diminuer leurs émotions désagréables et cacher leur vulnérabilité.

Jeunes fugueurs indépendants

Simon revient par lui-même une semaine après avoir fugué pour la septième fois. Ses intervenants s’inquiétaient pour sa sécurité parce qu’il a des tendances anxieuses et dépressives.

Dans l’étude, la majorité des jeunes fugueurs, soit près de 60%, se distinguent par le fait qu’ils reviennent seuls au centre de réadaptation. Un enjeu central chez les jeunes de ce profil est la présence de problèmes de santé mentale.

Afin de prévenir une fugue subséquente, les intervenants de Simon pourraient miser sur la gestion du stress et la bonne santé mentale. Le stress engendré par un placement combiné à sa fragilité psychologique peut potentiellement expliquer son utilisation de la fugue.

Un regard sur les retombées de la recherche pour les milieux pratiques

En somme, ces résultats offrent des pistes concrètes afin de réduire les fugues en centre de réadaptation et les comportements à risque qui y sont associés, notamment en suggérant des stratégies d’intervention cohérentes avec les profils des jeunes fugueurs.

Ces nouvelles informations ne sont que le début des recherches visant à mieux comprendre les différents besoins chez les jeunes fugueurs en centre de réadaptation. À l’aide des Projets 14-17, la professeure Couture et ses collaborateurs continuent de s’intéresser au phénomène de la fugue, plus particulièrement aux comportements adoptés lors des épisodes de fugue et surtout, à comprendre leur influence sur les fugues subséquentes. Ces projets permettront, entre autres, de cibler les différents profils de consommation de substances psychoactives lors des épisodes de fugue afin de proposer des recommandations visant spécifiquement la réduction des méfaits de cette consommation.

 

 

Référence de l’article scientifique sur lequel porte ce texte de vulgarisation :

Couture S, Hébert S, Laurier C, Monette S, Hélie S et Lafortune D. (2021). Profile of Runaway Youths from Residential Care Centres: Variation in Risk-Taking Propensity. Journal of Research on Adolescence, 32(1), 355–371. doi: 10.1111/jora.12612

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